Distinction : Youcef Saad et « La revanche de l’Algérie sur l’histoire »
Saad Said, journaliste de l’APS se déclare si fière de la distinction Youcef Saad, par le président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune, qu’il n’a pas hésité à publier une biographie succincte de l’itinéraire de son frère. La voici intégralement :
A la radio j’entends la nouvelle : « le président de la République Abdelmadjid Teboune félicite le mathématicien algérien Saad Youcef qui a obtenu le Prix John-Von-Neumann, de mathématiques ».
Je suis doublement fier ; d’abord c’est mon frère qu’on félicite, ensuite et c’est le plus important, Youcef est un Algérien.
Oui, je suis d’accord avec vous. Nous sommes toujours fiers lorsque nous entendons qu’un compatriote se distingue dans tel ou tel domaine à travers le monde. Cela nous fait plaisir. Mais le cas de Youcef me semble particulier voila pourquoi :
Youcef SAAD est né en aout 1949 à Souk Ahras (wilaya de Guelma à l’époque).
L’enfant, le troisième d’une famille de huit, était chétif et avait des problèmes respiratoires aigus.
A six ans, il subit une opération. Puis une autre quelques années plus tard. Ces interventions lui laisseront des séquelles.
Si la nature ne l’a pas gâté au point de vue physique, il avait néanmoins une intelligence hors du commun. L’enfant grandit et fréquente l’école primaire à Draa Sachem en Kabylie.
« L’école était très loin de chez nous et nous devions traverser une forêt pour y aller » me dit il un jour.
Lorsque devenu adulte, je refis le trajet en voiture je me suis dit « c’est impossible, comment pouvions nous marcher des kilomètres et des kilomètres sur des jambes d’enfants dans des conditions incertaines ?
La guerre venait d’éclater.
Dans la classe, il y avait une moitié de Français et une moitié d’enfants qu’on appelait « indigènes ». La différence tapait à l’œil.
Les beaux Européens se tenaient assis à côté de petits Kabyles, mal vêtus, mal nourris, parfois pieds nus. Le petit Français qui s’asseyait à ma table était beau comme un ange, parfumé ; je garde encore dans mes narines l’odeur de son parfum.
Tandis que nous… des savates rapiécées plus grandes que les pieds, des gandouras reprisées qui nous allaient grand et des chéchia rouges ou blancs que nos parents nous obligeaient à porter pour marque notre différence des roumis.
Dans nos poches, ma mère nous glissait une poignée de figues sèches, des œufs durs en plus d’un morceau de galette qu’on partageait souvent avec ceux qui n’avaient rien du tout à manger à la recréation.
Voici ce qu’il m’a révélé un jour : « Lorsque le maitre posait une question difficile, il avait pour habitude de demander à l’élève qui répondait correctement de passer au tableau pour écrire sa réponse. Il lui remettait ensuite un bon point. Combien de fois, connaissant la bonne réponse, j’évitais de lever le doigt.
– Ah bon ? pourquoi ?
Youcef répondit qu’il ne voulait pas monter sur l’estrade et être vu par ses camarades. « Mes vêtements eurent vite fait de soulever les rires de toute la classe. Les plaisanteries des enfants étaient cruelles et aussi indélébiles que les tâches ; elles laissaient des cicatrices pour la vie.
Les camarades vont se dire « qui c’est ce clown ? ». J’aurais été la risée des élèves européens. NOTRE PAUVRETE NOUS A CAUSE UN TRAUMATISME. Nous étions complexés malgré nous. C’est pourquoi je gardais les bonnes réponses enfouies dans mon âme.
C’est pourquoi je considère, en tant que frère du lauréat, la distinction honorable du savant SAAD Youcef comme la revanche de l’Algérie sur l’histoire.
Si ma mère était toujours en vie elle aurait aussitôt, en apprenant la nouvelle, préparer des beignets pour la circonstance, comme elle avait coutume de le faire lorsque ses enfants obtenaient soit la 6eme, soit le brevet ou le BAC.
Des beignets elle en préparé des centaines. Chebrek El Djouhar, Allah yarhamha, a donné six cadres à la nation. C’est à elle que revient ce Prix et a travers elle, à l’ensemble des mères Saad, Chebrek, Gaoua, Benslimane et a toutes les mamans qui ont résisté au quotidien durant l’ère coloniale, pour nous élever, nous laver, nous nourrir et nous peigner. Et faire de nous des enfants dignes de l’Algérie.
Des mères pour lesquelles nous aurons toujours une reconnaissance éternelle…
Je terminerai en disant un mot a l’adresse du système colonial de l’époque : vous pouviez détruire tous les bourgeons d’Algérie mais vous de pouviez jamais empêcher le printemps de refleurir…