La paralysie gagne du terrain

La grève des étudiants de l’Ecole nationale supérieure (ENS) se poursuit. En cours depuis le 15 novembre dernier, elle reste ouverte jusqu’à «la satisfaction» de leurs droits. Dans leur plateforme, quatre revendications principales : ne pas toucher au quatrième article du contrat d’accès à l’ENS et, par conséquent, ne pas avoir à s’inscrire sur la base numérique du recrutement national, avoir accès au master et au doctorat, et être prioritaires lors des recrutements. Mais comment cette grève a débuté ? «Nous avons commencé par discuter de la situation actuelle du secteur de l’éducation et de nos étudiants.

Nous avons abordé divers thèmes, dont celui des changements apportés aux contrats. Par la suite, nous avons tenu une réunion au sein de la cité universitaire, suite à laquelle nous sommes sortis avec une décision : entamer une grève et protester pour avoir nos droits», confie un syndicaliste.

Selon lui, les réseaux sociaux se sont chargés de diffuser l’info et la propager. «Des appels et des communiqués ont été publiés sur les groupes et les pages des écoles sur les réseaux sociaux. Et c’est ce qui a permis de diffuser l’information parmi les étudiants», soutient-il. Si nombre d’étudiants comptent sur cette grève pour obtenir gain de cause et tiennent bon jusque-là, d’autres sont moins optimistes.

Prestige

A l’image de Mohamed, étudiant à l’ENS de Kouba : «J’ai peur que cette grève n’apporte pas ses fruits et ne nous mène à rien. La raison : le ministère de l’Education nationale ne prête pas attention à nos revendications. Preuve en est, le succès de 3600 professeurs au concours des enseignants. Malheureusement, la qualification de l’élite n’a plus de sens.

Les écoles supérieures perdent leur prestige. Nous sommes marginalisés et subissons une monstrueuse injustice.» Autrement dit, selon l’étudiant, les diplômés avec un 10 de moyenne sont mieux considérés que ceux de l’ENS. «On pensait réellement que notre avenir serait ‘‘glorieux’’, et ce, grâce au quatrième article du contrat. Malheureusement, tout cela n’était qu’illusion.

Comment osent-ils nous dire qu’on doit être formés après cinq années d’études dans le domaine ? Comment voulez-vous élever le niveau de l’enseignement dans notre pays si on ne recrute pas les cadres ayant justement fait des études pour être enseignants ?» s’interroge-t-il, dégoûté. Une des raisons principales de cette grève est la modification de l’article 4 du contrat.

Contrat

Sur papier, il est clairement stipulé : «Article 4 : le ministère de l’Education nationale s’engage à recruter l’étudiant signataire de contrat dès la fin de son cursus, et ce, selon l’adresse mentionnée dans le contrat d’engagement.» Cependant, suite à une réunion, le 20 novembre dernier, il a été décidé que les étudiants devaient s’inscrire sur une base numérique. Dans le cas où il existe des postes vacants dans la wilaya de résidence du diplômé, ce dernier aura droit à un poste directement. Dans le cas où il n’y a pas de poste à pourvoir, le diplômé sera affecté dans une autre wilaya qui a besoin d’enseignants.

Moussa, étudiant en quatrième année physique à l’ENS de Kouba, explique : «En s’inscrivant sur la base numérique du recrutement national, on peut être appelé à travailler dans n’importe quelle wilaya du pays qui a besoin d’enseignants. Et c’est justement cela qu’on conteste. Un des articles du contrat que nous avons signé avant d’intégrer l’ENS nous assure le droit à un emploi dans la même wilaya de résidence. Aujourd’hui, cet article est bafoué».

Anarchie

Ce dernier assure que cette nouvelle règle ne lui convient pas. «Je ne peux pas laisser ma famille et aller travailler dans une autre wilaya. Le premier responsable de cette situation est le ministère qui n’a pas tenu sa promesse et n’a pas respecté le contrat, ce qui est grave. Si la situation était ainsi dès le début, je n’aurais jamais choisi l’ENS.» Finalement, si la modification de cet article fait peur aux étudiants, c’est parce qu’elle s’apparente à une sorte de «service civil a durée indéterminée», se désolent-ils.

De son côté, Ikram, étudiante en première année de sciences exactes à l’ENS de Kouba, témoigne de cette situation. Titulaire d’un baccalauréat avec 16,12 de moyenne, elle pouvait prétendre à être médecin ou pharmacienne (des spécialités qui exigent une forte moyenne au baccalauréat, ndlr).

Mais son choix s’est porté sur l’Ecole supérieure des enseignants, car elle a toujours aspiré à devenir professeur de sciences. Aujourd’hui, Ikram commence à regretter son choix. Elle confie : «J’ai choisi l’ENS parce que l’emploi y est garanti, et ce, dans la même commune de résidence. Aujourd’hui, je suis surprise dans le mauvais sens du terme et désolée de la décision anarchique prise par le ministère de l’Education nationale.» Idem pour Mohamed Réda, étudiant en quatrième année à l’ENS de Bouzaréah.

Titulaire d’un bac avec 16 de moyenne, cela lui a pourtant permis d’avoir une longue liste de choix. C’est un de ses professeurs qui lui a conseillé de s’inscrire à l’ENS afin de devenir enseignant, car de cette école on sort avec un diplôme et un contrat. Une idée qui a charmé la plupart des bacheliers qui ont, jusqu’à aujourd’hui, choisi d’être formés comme enseignants diplômés de l’ENS. «Aujourd’hui, nous sommes dans une impasse.

Avec notre diplôme, on ne peut qu’enseigner. Déjà, notre diplôme n’a même pas la valeur d’une licence ni d’un master d’ailleurs. C’est un certificat. Ce genre de détail ne nous a jamais été expliqué», se désole-t-il. En résumé, la grève des étudiants des ENS concerne deux points principaux. Le premier, c’est d’avoir accès au master et au doctorat après l’obtention du diplôme. Le deuxième point est le refus du recrutement hors wilaya et à travers le territoire.

L’activiste Kamel Nouari apporte des éclaircissements : «J’estime que cette grève est illogique à partir du moment où le choix de l’intégration des écoles supérieures après le bac intervient dans le but d’avoir un emploi direct après le diplôme, et ce, sous contrat signé avec le ministère de l’Education nationale. A partir de là, on ne peut pas demander à passer son master ou son doctorat après l’obtention du diplôme de fin d’études.»

Recrutement

Par ailleurs, et en ce qui concerne le refus de se soumettre à la base numérique pour l’emploi national, «cela relève du droit des étudiants, car l’inscription sur la base n’est pas obligatoire mais facultative, alors que le processus de recrutement a été lancé l’année dernière», assure-il. Selon lui, beaucoup de professeurs diplômés des écoles supérieures travaillent en dehors de leur wilaya de résidence depuis l’année passée et il est illogique d’employer des professeurs diplômés des universités qui sont sur la liste de secours et exclure les diplômés des ENS.

Par ailleurs, Kamel Nouari assure : «La ministre de l’Education, Nouria Benghabrit, a jugé que le niveau des diplômés des ENS n’est pas en adéquation avec les réformes qu’elle veut initier dans le secteur. Les programmes dans ces écoles sont, quant à eux, anciens et n’ont pas été changés depuis des années».

Selon lui, c’est pour cette raison que Benghabrit s’est réunie la semaine passée avec le ministre de l’Enseignement supérieur, Tahar Hadjar, afin de mettre en place une commission mixte entre les deux secteurs pour étudier plusieurs points, notamment l’enseignement de certaines matières comme la musique, le dessin et le sport dans le primaire, l’enseignement des personnes aux besoins spécifiques, renommer les certificats et diplômes délivrés par les écoles.

Excellence

En effet, une commission «permanente» entre le ministère de l’Education nationale et celui de l’Enseignement supérieur a été installée au terme de quatre rencontres intersectorielles portant sur les ENS. Cette commission vise à faire de ces écoles ENS des pôles d’excellence pour parvenir à une école de qualité. Pour la ministre de l’Education nationale, Nouria Benghabrit, cette commission fera un diagnostic et arrêtera les stratégies de recrutement jusqu’en 2025 en fonction des niveaux de la matière et de la spécialité.

«N’y a-t-il pas plus important à discuter entre les deux tutelles ?» s’interroge M. Nouari. De son côté, le syndicaliste du CLA, Bachir Hakem, tient à rendre hommage à ces écoles qui, dans les années 80’ et 90’, ont rendu un très grand service à l’éducation. Cependant, il signale quand même que les besoins n’étaient pas les mêmes.

Concernant les contrats qui posent problème, ce dernier explique que dans les contrats précédents le poste budgétaire était assuré car, dès la première année, la vocation de l’étudiant était d’enseigner et de plus son logement devait être assuré ; donc, l’étudiant n’avait qu’à étudier et remplir sa fiche de vœux pour son affectation.

Contractuels

A cette époque et avec cette stratégie, les besoins étaient assurés. Selon lui, «on peut faire la même chose aujourd’hui en planifiant les besoins des établissements scolaires à travers le pays pour une durée de 4 ans et former les futurs enseignants dans ce but pendant ces années.

Avec cette méthode, le recrutement au niveau des écoles commence dès la première année. Et au bout de 4 ans, le concours ne concernera qu’un minimum de contractuels et on n’aura plus besoin de liste nationale car elle sera faite dès la première année de l’ENS». Cependant, selon Bachir Hakem, cette solution n’arrange pas l’Etat et la tutelle qui a comme objectif d’augmenter le nombre de contractuels dans le secteur par rapport au CDI. Pour ce qui est du droit d’accès au master et au doctorat, «le ministère peut détacher, comme il l’a déjà fait auparavant, les enseignants pour poursuivre leurs études et cela rentre dans le cadre de la formation et des compétences.

Cependant, dans ce cas-là, il serait plus judicieux que l’enseignant signe un engagement de ne pas quitter le domaine de l’éducation», propose Bachir Hakem. «Nous sommes solidaires avec les étudiants de l’ENS car le recrutement direct doit se faire à ce niveau avant le concours externe qui concerne les diplômés non issus de l’ENS. Les étudiants de l’ENS sont normalement formés pour enseigner et n’ont besoin que de l’expérience qu’ils acquièrent avec le temps», conclut-il.

Résidence

De son côté, le ministère de l’Enseignement supérieur a tenté une approche en affirmant, lundi dernier, via son ministre Tahar Hadjar, que «la poursuite des études en post-graduation (master) par les étudiants issus des ENS ne pose aucun problème». Ce dernier a par ailleurs relevé que «le recrutement des diplômés de ces écoles obéit aux besoins du secteur de l’Education nationale».

Hadjar a aussi indiqué que son secteur «prenait en charge toutes les demandes des diplômés de l’ENS en matière d’ouverture de spécialités en master, et ce, sans exception, que ce soit les revendications d’ordre professionnel ou académique».

Pour ce qui est de la contractualisation des diplômés de l’ENS avec le ministère de l’Education nationale et de leur revendication de travailler dans leur wilaya de résidence, le ministre a expliqué que «certaines spécialités sont ouvertes dans des wilayas, mais pas dans d’autres». Le ministre a précisé que le département de l’éducation s’efforce de rapprocher les nouveaux enseignants de leurs lieux de résidence, ajoutant que ce département ne permet le transfert qu’après trois années de service.

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