La recherche : Ce n’est pas une affaire de langue

La recherche : Ce n’est pas une affaire de langue

 

Ces derniers temps, on parle de plus en plus de la langue anglaise et de son introduction à l’école. C’est une excellente chose, il fallait prendre le temps nécessaire pour cela, ce qui aurait permis une meilleure préparation. Apparemment, d’après les spécialistes des « sciences de l’éducation », l’enfant est très ouvert aux langues, sa mémoire est moins encombrée. Aujourd’hui, avec les possibles changements dans le monde, d’autres langues, notamment le chinois risqueraient de s’imposer au niveau des échanges commerciaux et économiques. Il n’y a pas de langue forte ou faible, l’« universalité » (ce mot revient comme un leitmotiv) d’une langue est en rapport avec les considérations économiques et militaires. Aujourd’hui, dans cet entre-deux marqué par le choc entre puissances sur fond de guerre en Ukraine, d’autres éventualités sont visibles.
Aujourd’hui, comme le dollar, l’anglais est la langue la plus usitée dans les échanges commerciaux et culturels. Pour le reste, les changements actuels et leurs ambiguïtés empreintes de troubles militaires et de jeux protectionnistes donnent à lire un monde peu stable, comme les langues d’ailleurs qui sont l’expression du développement de tel ou tel pays. Il y a trop de confusion et d’amalgames dans le discours médiatique à propos de cette question. Toute langue est instable, par définition, la domination est souvent circonstancielle.
L’introduction de l’anglais, comme du chinois peut-être ou d’autres langues, serait une excellente chose, si elle est bien préparée et prise en charge par les spécialistes, pédagogues, didacticiens, sociologues, économistes et psychopédagogues. Celles-ci ne portent pas le savoir, mais ne sont que des véhicules, des moyens permettant le passage et la diffusion des différentes données, une certaine communication.
Le reste est une affaire qui dépasse l’outil linguistique. La recherche, par exemple, n’est pas une question de langue, mais de travail de questionnement permettant la découverte d’un certain nombre d’outils permettant le développement.
Il est temps de comprendre que le problème de la recherche n’a rien à voir avec la langue. Il faut parler beaucoup plus, selon moi, d’absence de sérieuses conditions de travail et d’une profonde réorganisation d’une université encore aphone. Ce n’est pas la langue qui produit le savoir.
Certes l’encouragement de l’enseignement des langues est fondamental, notamment de l’anglais et du chinois, dans un monde, il faut le souligner, marqué par un plurilinguisme restreint et la domination de l’anglais dans les publications scientifiques. Au niveau des publications, la langue anglaise est hégémonique dans toutes les disciplines scientifiques. C’est pour cette raison qu’il serait préférable de traduire les articles en anglais ou de les rédiger directement dans cette langue, compte tenu du fait que les grandes revues indexées au niveau international sont rédigées en anglais. Il ne faut pas néanmoins confondre le processus de circulation ou la diffusion des résultats par le biais des publications qui reste dominée par l’anglais et les autres secteurs présidant au processus de la production scientifique, l’enseignement et l’élaboration de la recherche qui sont assurés dans les langues d’origine, l’anglais n’étant pas majoritaire.

Le chinois, le russe, le français, l’allemand et d’autres langues, y compris l’arabe, dominent dans ces deux sphères. D’ailleurs, même dans le secteur de la circulation des savoirs ou rédaction, des langues comme le chinois, le russe, l’allemand et le français commencent à s’imposer, à vouloir concurrencer l’anglais qui reste hégémonique au niveau de la circulation et la diffusion des résultats (revues indexées).

Je m’explique : de très nombreux chercheurs publient leurs résultats en anglais, alors qu’ils élaborent leurs recherches et assurent leur enseignement dans leur langue « nationale » (allemand, français, italien, chinois, russe, arabe, etc.). Je ne vois pas l’utilité d’imposer à un étudiant de soutenir sa thèse en anglais. Il serait néanmoins utile qu’il produise ses articles en anglais, ses résultats surtout s’il les envoie à des publications scientifiques internationales. Ainsi, son texte sera examiné par un grand nombre de spécialistes.

Il faudrait éviter de parler de langue de substitution, mais plutôt inciter les étudiants dans une université qui manque de beaucoup de choses, à maîtriser le maximum de langues et d’en exclure aucune. Je sais que ces gens qui pérorent continuellement ainsi ignorent que l’Europe est en avance sur nous et que leurs langues qui sont l’expression de la puissance « occidentale » véhiculent des savoirs. Toute langue est le produit du niveau culturel, économique et scientifique du pays. Elle est en mouvement perpétuel. L’anglais, l’allemand, le français, le russe et le chinois sont des langues puissantes parce qu’elles appartiennent à des entités puissantes sur les plans économique, militaire et technologique.

Plutôt que de parler de langues, il serait peut-être temps de corriger cette décision d’algérianisation qui a fermé la porte de nos universités aux compétences scientifiques étrangères. L’essentiel, c’est de voler le feu. A un moment donné, on glosait naïvement sur le « transfert de technologies », alors qu’il est le lieu de rapports de forces. Peut-être, en volant le feu (Prométhée), en recrutant de grandes pointures scientifiques, en les payant en conséquence, on pourrait peut-être y remédier.

Je ne sais pas, mais en parlant de cette question de langue, je pense aussi aux dégâts occasionnés à l’université par des décisions irréfléchies, notamment l’algérianisation. L’algérianisation de l’encadrement a provoqué d’énormes dégâts dans des universités qui avaient besoin de la présence d’enseignants étrangers de qualité, comme cela se fait dans les grandes universités « occidentales », chinoises et russes, qui pouvaient apporter un surcroit de qualité à l’enseignement supérieur. Avant cette mesure d’algérianisation de l’encadrement universitaire, de nombreux coopérants, européens, africains et arabes, assuraient des cours et collaboraient avec leurs collègues algériens. Mais le choix devrait se faire à partir de critères très pointus (CV).

La vocation de l’université est d’être ouverte au monde. La décision prise en 1982 ne s’articulait pas autour de considérations pédagogiques et scientifiques. L’université devrait plutôt apprendre à voler le feu, comme Prométhée. Même en encourageant sérieusement et concrètement le recrutement de « professeurs invités » reconnus.

Ahmed Cheniki

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