Pour d’autres, des despotiques-exécutants zélés. Recteurs d’université, ces profils d’administrateurs suprêmes font aujourd’hui le quasi-consensus de la population universitaire sur leur responsabilité dans la déchéance de ces espaces du savoir.
C’est l’une des principales recommandations du congrès de la Soummam du 20 Août 1956 (la primauté du politique sur le militaire) de l’Algérie en combat, remise au goût de l’enseignement supérieur : la primauté du pouvoir administratif sur celui scientifique. Alors qui sont ces hommes de l’administration ?
Si l’arrêté du ministère de l’Education de 25 septembre 1969 (déjà) établit bien leurs attributions, il est quasiment impossible d’avoir accès aux informations de base les concernant, pas de texte officiel pour cela. Ni Curriculum Vitae, ni parcours scientifique ou politique ne sont aisés à acquérir, l’omerta installée dans ce secteur minutieusement surveillé rend la tâche encore plus difficile.
En effet, rares sont les enseignants, professeurs ou étudiants aptes à prendre le risque de révéler, à découvert, ce que toute la population universitaire échange au quotidien. Quels sont les critères de désignation de ces «walis» des universités ?
Selon un enseignant, fin connaisseur des rouages, les critères de choix évoluent en fonction des options «retenues» par le pouvoir politique.
Ainsi, dans les années 1970, le pays en pleine construction sous l’ère boumédienne, les compétences scientifiques et intellectuelles étaient requises pour ce poste pour les trois universités existantes à l’époque, «Encadrés (toutefois) par les services de sécurité et le triumvirat qui gouvernent les wilayas».
La décennie suivante, avec le passage en force de l’arabisation, le profil des recteurs se FLNise avec pour qualités requises «l’opportunisme institutionnel, la médiocrité intellectuelle et l’assujettissement au pouvoir», écrit l’enseignant (voir l’encadré).
Dans les années 1990, ces agents de l’administration sont méticuleusement triés par les services de sécurité afin de contribuer à contrer l’islamisme, les modernistes et les berbéristes dans les universités. La raison sécuritaire primant sur toute autre considération. Malgré ces «entraves» à la bonne évolution du champ du savoir, ce sont les années 2000 qui mettront ce secteur à genoux.
Un professeur, jeune retraité de l’enseignement supérieur, classe ainsi les principaux critères de sélection : «Servitude et soumission, plus les gros intérêts liés aux juteux marchés.»
Car, plus que la domination du pouvoir politique qui se manifeste par la mise en place de recteurs en fonction de leurs appartenances partisanes (actuellement, les deux partis du pouvoir FLN-RND), ce sont la logique du partage de la rente, le clientélisme et la corruption qui priment.
Même s’ils ont existé et existent toujours, des recteurs dignes de leurs postes et qui remplissent les conditions scientifiques et de gestion administratives, «ils se comptent actuellement sur les doigts d’une main», comme le précise bien le Pr Abderrezak Dourari, la majorité de ces «fonctionnaires de l’Etat» ont largement fait de l’univers du savoir des bunkers en vase clos. D’après une autre source, avant même sa désignation, un recteur doit accepter d’obéir à la règle des quotas.
«Des personnes influentes dans le système et également des militaires exigent leurs parts dans l’attribution des places de Master, de doctorat ou des stages à l’étranger. C’est une condition décisive pour l’accès au poste», explique-t-il. Et la chose est aisément vérifiable, lorsqu’on constate le nombre d’étudiants inscrits dans des masters et des doctorats (surtout des sciences humaines) «détachés» par la Défense ou le ministère de l’Intérieur ! «Il y a d’abord un partage de la rente.
En termes de marchés et en postes budgétaires, en postes de magistrats et de doctorants à recruter. C’est cela aussi la rente. Les bourses à l’étranger pour les enfants de la nomenklatura se négocient avant nomination. Un exemple, 70% de la restauration des séminaristes atterrissent dans un restaurant tenu par un ancien du DRS. Les traiteurs sont sélectionnés sur instruction et nul ne peut contester la qualité», révèle notre jeune retraité.
Des affirmations certes graves, mais largement connues et rendues publiques par les dénonciations d’abus d’autorité, de triche dans les concours de Master et de doctorat ainsi que le mutisme devant des thèses plagiées permettant l’accès aux postes d’encadreurs et de grade d’enseignants. Si les valeurs universitaires et l’éthique et la déontologie du monde du savoir sont bafouées chaque jour, on ne peut écarter la responsabilité active ou passive des premiers responsables de l’université et de leur tutelle.
Le plus aberrant dans ce constat est que les recteurs les plus zélés ont la longévité la plus impressionnante. Comme l’indique un enseignant d’une université d’Alger, un ex-recteur des sciences islamiques de Constantine, issu du RND est resté 14 ans en poste. Le doyen actuel des sciences politiques d’Alger, est doyen depuis 15 années.
Mais cela est-il choquant, lorsqu’on sait que l’actuel ministre de l’Enseignement supérieur, Tahar Hadjar (FLN), est resté recteur de l’université d’Alger pendant 18 ans ! Beaucoup de recteurs misent sur les services rendus durant leurs mandats infinis pour briguer la députation comme cerise sur le gâteau d’un loyal et discipliné service rendu à leurs mentors. Comme les diplômes de complaisance accordés à des personnalités politiques sans envergure.
Il est donc urgent de revoir les critères de désignation de ces administrateurs. Qu’ils soient élus par leurs populations universitaires sur la base d’un projet d’établissement et de CV, pour des mandatures de 3 à 4 ans renouvelable une fois (comme le préconise l’Unesco).
Mais, là encore, certains récalcitrants pourront faire valoir la jurisprudence…