En attendant le projet de loi sur la recherche et le développement, qui est en préparation, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, qui ambitionne la valorisation de l’innovation et son adaptation aux exigences du monde du travail, a émis, l’année dernière, un arrêté fixant la liste des activités de recherche développement en entreprise.
De la sorte, la tutelle a instauré des assises réglementaires en matière de recherche. Selon la communauté universitaire : «Cet arrêté qui est venu inciter les entreprises et universités à la recherche utile, à l’engagement mutuel dans une vision de développement, est aussi un test pour mesurer les capacités des entreprises dans la compétitivité et l’innovation.»
La professionnalisation de la formation universitaire, sur laquelle le MESRS insiste, allait-elle connaître une révolution à la faveur de cet arrêté interministériel du 10 juillet 2016 qui vient appuyer l’université dans son volet de recherche scientifique ? C’est du moins la finalité de cette stratégie à laquelle aspirent les ministères de l’Enseignement supérieur et la Recherche scientifique et des Finances, qui en ont fixé les modalités, dont la liste des activités de recherche-développement en entreprise. Dans son article 1, il est stipulé qu’« en application des dispositions de l’article 171 du Code des impôts directs et taxes assimilées, le présent arrêté a pour objet de fixer la liste des activités de recherche développement au sein de l’entreprise».
Par activité de recherche-développement, «il est entendu toute activité portant sur la création ou l’amélioration d’un produit, d’un procédé, d’un process, d’un programme ou d’un équipement devant subir une amélioration substantielle et qui ne résulte pas d’une simple utilisation de l’état des techniques existantes», précise le même texte, publié dans le Journal officiel du 4 septembre 2016.
Dix-huit domaines forment désormais la nomenclature de la recherche établie par le MESRS et à laquelle les entreprises concernées devront se soumettre. Le procédé est d’ailleurs détaillé dans l’article 3 :«L’entreprise est tenue de déclarer le montant engagé à l’institution nationale chargée du contrôle de la recherche scientifique au niveau du ministère chargé de la Recherche scientifique. Après la déclaration du montant engagé et la validation de la recherche, une attestation est délivrée à l’entreprise dans un délai de 45 jours.» «C’est un principe positif, et c’est bien qu’un grand nombre de domaines y soient inclus.
Il faudrait surtout s’assurer qu’on n’ouvre pas aux entreprises un chapitre de dépenses incontrôlées et supplémentaires», ont soutenu des universitaires chercheurs qui y ont perçu une mesure nécessaire, mais pas forcément motivante ou incitatrice. Pour que ce soit le cas, la tutelle y a inséré un volet concernant des déductions fiscales : «L’octroi de la déduction de l’impôt sur le revenu global (IRG) ou de l’impôt sur le bénéfice des sociétés (lBS), est subordonné à la souscription par l’entreprise, à l’appui de la déclaration à l’administration fiscale, d’un engagement de réinvestissement du montant correspondant aux dépenses admises en déduction, engagées dans le cadre de la recherche-développement».
C’est un arrêté qui intervient aussi tardivement que celui du plagiat. Pour Pr Abdelwahab Zaâtri, «s’il est fermement établi à travers le monde que la recherche scientifique est au développement ce qu’est l’eau à la vie, il n’empêche que ce rapport dépend surtout de la structure socio-économique et de la conjoncture du pays en question plus que de la décision de tel ou tel ministre. Sinon, il aurait été irresponsable d’attendre jusque-là, c’est-à-dire en pleine crise financière, pour se rendre compte qu’il faut lier la recherche au développement des entreprises et du pays».Pour cet enseignant et responsable de laboratoire au département du génie mécanique de l’UFMC, quelques expériences, de par le passé, ont été initiées, sans pour autant aboutir aux résultats escomptés.
L’infructuosité de ces tentatives renvoie à plusieurs facteurs : «Par le passé, quelques tentatives essayant de connecter la recherche au développement ont eu lieu, mais généralement sans grand succès par suite de l’organisation structurelle des entreprises et des universités. A titre d’exemple, il y a une dizaine d’années, trois grandes entreprises de mécanique de la région de Constantine ont fait appel à une réunion avec le département de génie mécanique de l’université Mentouri dans le but de coopérer afin d’affronter la compétition industrielle internationale.
De l’autre côté, des demandes de coopération soutenues financièrement par la direction générale de la recherche scientifique (DGRST) encourageant la coopération recherche et développement (R&D) et n’engageant en rien certaines entreprises n’ont pas eu de réponses. Bien que les projets soient au bénéfice de l’entreprise et des citoyens, certaines entreprises peuvent présenter un comportement négatif. Leurs responsables préfèrent les produits d’importation coûteux au lieu de coopérer gratuitement au développement ou relever le taux d’intégration par la R&D d’un produit final qui est à destination des citoyens défavorisés, comme les prothèses pour handicapés, par exemple».
PAS DE RÉSULTATS PROBANTS
Et d’énumérer d’autres stratégies en matière de R&D : «…La direction de la recherche a lancé la notion de projets nationaux de recherches (PNR) en direction des universités et des centres de recherche pour booster la recherche-développement. Bien que l’idée soit intéressante en soi et était soutenue par une prime financière conséquente pour motiver les chercheurs, l’impact socio-économique n’était pas celui attendu en raison de causes multiples, dont le désintéressement des entreprises, l’absence de bureau recherche-développement au niveau des entreprises ou encore l’inexpérience de certains chercheurs devant les problèmes concrets.»
Une année après la publication de cet arrêté, la coopération entreprise-université n’a pas réellement évolué. Les trois universités de Constantine n’ont pas fait un bond significatif en R&D, en dépit de l’introduction de plusieurs licences professionalisantes. Ce qui est actuellement concret, ce sont les stages en entreprise pour les étudiants en fin de cycle. En termes de chiffres, quelque 30% des mémoires dans les filières des sciences et technologies se réalisent en entreprise. Selon le rectorat de l’UFMC, l’université «..est amenée à développer cette synergie d’une manière optimale pour des retombées positives pour les partenaires.
A notre niveau, nous sommes déjà au stade de la thèse à l’intérieur de l’entreprise, comme c’est le cas avec une laiterie privée pour la valorisation du lactosérum. Cette stratégie incitative ne peut qu’aboutir à un ticket gagnant. L’approche peut aussi venir de l’université. L’essentiel est d’en faire une impulsion». Seule certitude pour l’heure, l’évaluation des retombées de cet arrêté ne peut se faire que sur les moyen et long termes.