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A l’université, il faut laisser le champ libre aux historiens

– Dans votre article scientifique intitulé «L’écriture de l’Histoire de l’Algérie, période coloniale (1830-1962) : sources et perspectives», vous notez que l’école algérienne a produit une histoire pa..

– Dans votre article scientifique intitulé «L’écriture de l’Histoire de l’Algérie, période coloniale (1830-1962) : sources et perspectives», vous notez que l’école algérienne a produit une histoire partiale dans les domaines politique et militaire. Y a-t-il une dynamique, dans les établissements universitaires, pour rectifier ce travers ?

Absolument, l’écriture de l’histoire dans les pays sortis de l’ère coloniale n’est qu’un élément qui entre dans le processus global de la construction de l’Etat nouvellement créé. Ceci n’est donc pas une spécificité algérienne. Pour atteindre cet objectif, il fallait faire des rappels, insister sur certains événements pour prouver que la période coloniale n’est qu’une parenthèse dans l’histoire du pays ayant amplifié certains phénomènes et ignoré d’autres.

Ainsi, quand on fait une lecture globale des travaux réalisés par les chercheurs algériens durant la période 1970-2000, on constate que la majorité de ces recherches se focalisent sur la période coloniale et sur le thème cher aux chercheurs algériens, à savoir «le mouvement national». Nous sommes là dans une démarche de l’écriture partiale et partielle de l’histoire.

Cependant, depuis quelque temps, à partir des années 2000, on constate une orientation de la recherche vers d’autres périodes : «la période ottomane» ou la «période Maghreb islamique» par exemple. De même, de jeunes chercheurs commencent à travailler sur des sujets nouveaux explorant ainsi différents domaines aussi bien sociaux, économiques et même maritimes. L’école historique algérienne est à ses débuts et des sujets vierges restent à explorer.

– Il est vrai que la tendance générale va vers l’histoire politique du pays et particulièrement celle relative à la période coloniale. Pourquoi cette pauvreté en matière de micro-histoire, cette histoire sociale, locale, économique et financière ?

Cette problématique a été résolue depuis la création de l’Ecole des annales en 1929. Cette école historique avait orienté les travaux vers deux aspects : l’un proprement historique dont la spécialité recouvre l’histoire sociale, économique, politique, financière, etc., le second, ce que vous appelez la micro-histoire, s’intéressant uniquement à l’histoire locale, ce qui permet par la suite de composer une sorte de mosaïque et qui a pour finalité une histoire nationale globale variée et riche. En Algérie, notre expérience est très courte, les premières recherches historiques n’ont débuté que depuis 1970.

Les historiens de métier étaient peu nombreux et ayant vécu sous l’ère coloniale ils ont été victimes du système et de ses injustices ; aussi, il n’est pas étonnant qu’au vu du contexte politique du pays, la majorité d’entre eux se soit orientée vers des thèmes politiques et choisit en particulier le mouvement national. Les recherches sur des sujets de spécialité comme l’histoire de l’économie nécessitent une formation pointue dans le domaine, ainsi qu’une rigueur dans la recherche et dans la rédaction.

– En utilisant votre notion, comment «décoloniser l’histoire» ?

C’est une notion que j’avais empruntée à Mohamed-Cherif Sahli, qui a rédigé un ouvrage, en 1965, portant ce titre. Sahli et Mahieddine Djender ont appelé dès les premières années de l’indépendance du pays à «repenser et refondre l’histoire de l’Algérie en fonction de ce que nous sommes devenus», et ceci comme réplique à l’école coloniale.

Cette problématique controversée est le sujet des débats parmi les historiens des pays sortie de la colonisation. Pour ma part, je vois ainsi la chose : dans les écoles et les lycées, il faut enseigner une histoire sélective, en l’occurrence présenter des manuels d’histoire dont l’objectif est de former le citoyen de demain.

Cependant, à l’université, il faut laisser le champ libre aux historiens. «Décoloniser l’histoire» n’est qu’une démarche académique pour montrer que les travaux de l’école coloniale ne sont autrement, pour la plupart, que des pamphlets idéologiques loin des études historiques objectives et donc hors du champ historique. Il faut donc lire, replacer les événements dans leur contexte et les rapporter en toute objectivité sans a priori idéologique.

– En tant que responsable d’une faculté des sciences humaines et sociales et dont la filière «Histoire» est l’une de ses branches, quel constat faites-vous de la discipline telle qu’elle est enseignée ? Où va la sensibilité des chercheurs et des thésards ?

Le métier d’historien exige l’impartialité, le temps de la «production de l’histoire» est terminé. Avec mes collègues, nous essayons d’être créatifs, on a conscience que notre mission est délicate, il faut être responsable et rigoureux. Nous faisons de notre mieux pour donner un enseignement académique, loin de tout propos démagogique. Nous sommes conscients du fait que l’histoire de l’Algérie est un thème étudié et enseigné dans les universités à travers le monde.

D’ailleurs, nous avons eu la chance d’accueillir dans notre faculté des historiens de différentes universités : d’Allemagne, de France, d’Angleterre, de Suède, de Norvège, d’Italie, de Turquie, de Tunisie et du Maroc. Notre objectif est d’avoir un regard sur ce qui se fait dans ces universités sur l’écriture de l’histoire en général et l’histoire de l’Algérie en particulier. Au sujet des thèmes de recherche en thèse de doctorat, notre faculté est novice, mais nous avons choisi d’explorer des thèmes vierges.

A titre d’exemple, mes collègues de la période «Maghreb islamique» se sont focalisés sur les manuscrits scientifiques qui traitent des thèmes scientifiques, comme l’astronomie et les mathématiques. Les doctorants doivent aller chercher ces documents dans les centres d’archives en Algérie dans la wilaya d’Adrar, au Maroc et en Espagne. Quant à mes collègues de l’histoire contemporaine, ils ont orienté les doctorants vers les sujets sociaux et économiques : histoires des entreprises et histoire des banques.

– Nous avons remarqué que les intitulés des masters se limitent presque à l’histoire moderne. Pourquoi cette focalisation, et où est celle antérieure du peuple algérien ?

Pour information, le choix des thèmes des masters relève de la tutelle, c’est le ministère qui pilote et décide des intitulés par l’intermédiaire des conférences régionales, représenté par les enseignants de chaque matière. Ceci dit, en histoire, on constate tout de même des lacunes dans certaines spécialités, notamment pour ce qui est de la période ancienne.

A noter également l’absence dans l’université algérienne d’une discipline primordiale pour les études historiques : la géographie. Cette dernière est étudiée dans les universités européennes non seulement comme matière, mais l’on trouve dans chaque grande université une faculté de géographie.

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